
Le triplisme dans l'iconographie celtique
Thèse d'honneur de l'Université McGill
" L'objectif principal de cette analyse iconographique est de mettre en lumière les causes de l'omniprésence du triplisme dans les représentations celtiques. Le nombre "trois", sous la forme de triples divinités, héros, animaux et symboles semble avoir tenu une place primordiale dans la mythologie, la cosmologie, la théogonie et l'art du peuple celte.
Établis dans toute l'Europe, les peuples celtes étaient divisés en tribus indépendantes qui partageaient une organisation sociale, des langues, une mythologie, une cosmogonie et des styles artistiques similaires. Cependant, leurs querelles tribales constantes et leur manque d'unité politique les rendaient vulnérables face à l'Empire romain, bien organisé, qui étendait ses frontières jusqu'à la Gaule, conquise en 52 avant J.-C. Par ailleurs, Jules César poursuivait son invasion jusqu'en Grande-Bretagne, dont le peuple était l'allié des Gaulois contre l'invasion romaine. Ce n'est toutefois qu'en 43 après J.-C. que l'invasion claudienne ajoute la Grande-Bretagne à l'Empire romain.
La culture celtique et les styles artistiques de la Grande-Bretagne s'en trouvent lentement transformés. La plupart des peuples celtes s'adaptent à la culture romaine, tandis que d'autres, plus rebelles, refusent l'ascendant romain et rejoignent d'autres groupes au Pays de Galles ou en Cornouailles, à la frontière desquels des garnisons romaines sont établies.
Conclusions
Le concept qui relie l'ensemble du matériel iconographique que nous avons analysé est la triplication des divinités celtiques.Nous avons essayé de comprendre la raison de cette triplication. Le schéma tétradique proposé par Lyle, qui englobe le schéma à triple fonction de Dumezil, met l'accent sur la quatrième dimension discrète de la société celtique, à savoir le rôle des femmes, en tant que femmes et divinités, symbolisant les personnes appartenant aux trois domaines.
Je pense qu'un modèle de polarité émerge de cette analyse du matériel. D'une part, les déesses mères, symbolisant la fertilité, l'éducation et l'abondance terrestre, protégeaient le peuple tout au long de sa vie et étaient responsables de son destin. D'autre part, les déesses de la guerre étaient responsables de la protection du territoire et des soldats contre les ennemis.
Ces divinités féminines (principalement les déesses mères) accompagnent les divinités qui correspondent aux fonctions de Dumézil, c'est-à-dire les genii cucullati, associés à la fertilité de la terre et à la guérison ; donc, à la troisième fonction liée aux producteurs de nourriture et au confort corporel. Deuxièmement, les mères sont également associées à ce qui semble être des divinités de la guerre ou des guerriers, peut-être des héros des mythologies correspondant à la deuxième fonction de Dumézil.Il est intéressant de noter qu'aucune divinité féminine n'accompagne les divinités liées à la première fonction des dirigeants et des prêtres.
Trois explications possibles peuvent être fournies pour cette occurrence. Tout d'abord, il est possible que les représentants de la première fonction ne nous soient pas clairement indiqués et qu'ils soient symbolisés sous la forme du dieu Cernunnos ou des tricephaloi.Deuxièmement, les femmes n'étant pas associées aux fonctions de dirigeants et de prêtres, elles ne seraient pas représentées en leur compagnie. Troisièmement, il est possible que l'unification du chef ou de la divinité dirigeante avec son homologue féminine n'ait pas été représentée sous une forme triple. Le calendrier celtique nous apprend qu'à Samain, au début de l'année celtique, le roi célébrait sa fête nuptiale. Il pourrait s'agir de la symbolisation du mariage du chef avec son territoire ou sa terre, symbolisé par une divinité féminine, un concept souvent célébré dans la mythologie irlandaise.
Il convient de garder à l'esprit que, comme le mentionne Sjoestedt, les divinités n'étaient pas nécessairement des divinités titulaires, mais des représentations de valeurs religieuses et sociétales qui étaient dépeintes différemment selon les époques et les localités.Parfois, le nom ou les caractéristiques de ces divinités différaient, mais les attributs ou valeurs symboliques demeuraient, comme s'ils provenaient d'une "même impulsion générative" (Sjoestedt, 1982, p. 39).
L'étude du symbolisme dans la culture est principalement abordée par les post-processualistes.Ceux qui tentent de trouver un terrain d'entente entre le processualisme et le post-processualisme proposent l'approche historique directe comme solution possible à la question du sens/rôle du symbolisme dans une société. Nous ne pouvons cependant pas utiliser cette solution car la société européenne moderne a beaucoup changé depuis l'époque celtique. Il reste donc deux points de vue possibles sur l'objectif du symbolisme. Soit le symbolisme iconographique reflète des valeurs culturelles et religieuses, soit au contraire, comme le propose Hodder, les symboles sont un masque, une exagération ou une contradiction des valeurs de la société. L'analyse du matériel ne nous permet pas de soutenir exclusivement l'un ou l'autre de ces points de vue. Au contraire, nous sommes tentés de considérer ces deux points de vue comme complémentaires, car les symboles peuvent jouer des rôles différents et complexes dans une société. Certains servent de régulateurs/réflecteurs des valeurs sociétales et d'autres semblent contredire ou masquer ces mêmes valeurs.
Je suis consciente que la majorité des hypothèses proposées dans le cadre de l'iconographie celtique reposent principalement sur des déductions dérivées soit de textes anciens qui ont leurs propres biais, soit de l'analyse d'une banque limitée de matériel archéologique.Ainsi, je crois que c'est surtout par la récupération et l'analyse d'un nouveau matériel iconographique que nous pourrons avoir une image plus claire du symbolisme de cette triplication."
(2001) Abigaëlle Richard. Triplism in Celtic Iconography, B.Sc. honour’s thesis, McGill Uninversity, Montreal.